Cours de Bactériologie Médicale

FRANCISELLA


1 - Introduction

Ces bactéries sont bien bien connues en France depuis 1946, date de la découverte de la maladie humaine. Elles étaient responsables d'un tableau clinique et épidémiologique particulier, évoqué en période de chasse plus particulièrement chez les femmes de chasseurs ayant dépecé un lièvre. Elles sont redevenues d'actualité à cause de leur pouvoir pathogène important (agent biologique de la classe 3) susceptible d'être exploité lors d'une attaque bioterroriste (http://www.tdh.state.tx.us/bioterrorism/ facts/PULTUL2.JPG radio.; http://www.invs.sante.fr/publications/guides_biotox/guide_tularemie.html) Elles ont prouvées leur efficacité, en particulier lors de la seconde guerre mondiale , peu avant le siège de Stalingrad, en ralentissant l'avancée des divisions de panzers...........

2 - Historique

Découverte en 1911 par G.W. McCoy et C. W. Chapin en Californie dans le Comté de Tulare, la tularémie est primitivement une maladie mortelle (pseudo-peste) des animaux sauvages dont l'écureuil.

Elle pouvait affecter aussi le daim par l'intermédiaire d'un insecte piqueur (tâon)(Deer fly fever ou fièvre de la mouche du daim).

Chez l'homme, la maladie a été décrite en 1914 et E. Francis démontra la transmission chez l'animal par la "deer fly" et proposa le terme de "tularémie" pour diverses maladies animales:deer fly fever, cattle fly fever, rabbit fever et tick fever.

Synonymes: Francis disease, rabbit fever, deer fly fever.

3 - Habitat

Il s'agit essentiellement d'une zoonose et on peut répartir les espèces animales dont les mammifères (190 connues) en trois groupes selon leur sensibilité, les espèces les plus réceptives étant les rongeurs (souris, cobayes) et les lagomorphes (lièvres).

La tularémie se rencontre principalement dans les zones boisées de l'hémisphère Nord: États-Unis d'Amérique, Europe du Nord avec la Suède, la Finlande……, la Russie et enfin le Japon.
F. tularensis biogroupe tularensis (type A très virulent), est présente essentiellement aux États-Unis.
F. tularensis biogroupe palearctica (type B, moins virulent) est présente en Europe et en Asie.

D'autres espèces ou sous-espèces, plus rares, ont été rapportées chez l'homme: F. philomiragia et F. tularensis biogroup novicida et F. tularensis subsp. mediasiatica.  

4 - Epidémiologie

En France . Avoir la notion de lièvres infectés par département (taux de mortalité de l'ordre de 5%) selon l'enquête du réseau SAGIR de 1993-96)(http://www.oncfs.gouv.fr/.../images/ carte-tularemie.gif.)

. Deux pics saisonniers sont décrits, surtout en hiver mais aussi en automme.

. Les personnes exposées sont surtout les chasseurs ou leurs femmes appelées à dépecer ou à cuisiner ces animaux, les gardes-chasse, les gardes forestiers, les cultivateurs...(exposition professionnelle).
. Méfiez-vous lors de la
préparation culinaire ou non d'un lièvre, de la présence d'une grosse rate (cf image en 6).
. Diffusion : à travers la peau saine, au niveau des conjonctives, de l'oropharynx, ou des voies aériennes supérieures.
. Apparait sous forme de cas isolés suite au dépeçage d'un lièvre ou bien à la suite d'un contact même bref avec un animal malade ou mort (mulot, campagnol....).
. Des cas de tularémie sont maintenant rapportés après
morsure de tique, griffade ou morsure de chat, voire de chien ou encore après contact avec un rongeur (mulot, campagnol). http://www.invs.sante.fr/beh/2000/0017/

Europe :
. Europe centrale : lièvre d'Europe et tiques (Ixodus ricinus)
. Europe du nord : lièvre variable, écureuils, lemmings et autres petits rongeurs.
Les moustiques sont une source de contamination chez l'homme.

Amérique du nord:
. Etats-Unis, F. tularensis biogroupe tularensis est responsable de 70% des cas humains (mortalité 5 à 7%). Les tiques sont la principale source de l'infection en été. Les mammifères les plus atteints sont les lapins, les lièvres, les campagnols ou encore les moutons.
. Nord des Etats Unis - Canada : F. tularensis paleartica peut être trouvée et atteint les mammifères suivants : rat musqué, ou encore castor.

Ex-Union soviétique : Les petits rongeurs sauvages et le lièvre constituent des sources de contamination directe de l'Homme en hiver. Les moustiques représentent la source dominante en automne.

http://www.oie.int/fr/normes/mcode/F_00111.htm
http://www.oie.int/fr/maladies/fr_mal.htm

5 - Pouvoir pathogène

En France, il s'agit essentiellement d'une maladie animale, en particulier du lièvre mais aussi des petits rongeurs tels mulot, campagnol........ Cette zoonose est donc transmise à l'homme par des léporidés infectés dont le lièvre (80% des observations). Maladie à déclaration non obligatoire (1986), elle est, cependant, reconnue comme maladie professionnelle dans le cadre du régime agricole (N°7)(gardes forestiers, bouchers, charcutiers, éleveurs, vétérinaires, ou encore technicien/ne).
E
n France, le nombre de cas annuel est faible: 18 à 72 cas entre 1987-1991. Il s’agit principalement de formes ulcéro-ganglionnaires par contact soit avec des rongeurs, soit le plus souvent avec des lièvres.

La transmission directe prédomine avec des voies de pénétration très variées:
- pénétration percutanée: F. tularensis est capable de franchir la peau saine mais pénètre rarement chez l'Homme par piqûre d'arthropodes hématophages (moustique en Suède et tique aux Etats-Unis).
- pénétration par des griffures ou des morsures.
- pénétration conjonctivale: pénétration oculaire (éclaboussures) ou oro-nasale (mains souillées).
- pénétration orale: consommation d'eau contaminée, de viande d'animaux infectés mais insuffisamment cuite.
- contamination par inhalation: aérosols produits dans les laboratoires lors d'autopsie de cadavres, de changement de litières etc... Les aérosols peuvent provenir de poussières de fourrage, de céréales, de laines souillées par excrétion de rongeurs. Cette forme sera privilégiée lors de bioterrorisme.

Les formes cliniques observées sont indiquées ci-dessous:


La clinique va varier selon la porte d'entrée. Mais quelle que soit la forme clinique, après une incubation courte de 3 à 5 jours, le début est brutal s'accompagnant d'une fièvre élevée, de frissons, de céphalées, ou encore d'une asthénie. Quelquefois peuvent être associés d'autres signes: toux, myalgies, douleurs abdominales, diarrhée, plus rarement rash cutané maculo-papuleux ou vésiculo-papuleux, méningite ..... Il n'y a pas de transmission interhumaine et la maladie est rarement mortelle.

Exemples d'une forme cutanée et d'une forme ulcéro-ganglionnaire

http://www.invs.sante.fr/beh/2000/0017/
http://www.cabq.gov/envservices/rodent.html lappin peau ixodes........
http://www.tdh.state.tx.us/bioterrorism/ facts/PULTUL2.JPG radio
http://gsbs.utmb.edu/microbook/ ch029.htm
http://www.cnrs.fr/SDV/tularemie.html
http://www.precision.rotor.com/trialpgs/ reconn-tularemia.shtml.
http://www.tularemie.org/

6 - Physiopathologie

Outre le tropisme d'espèce très prononcé pour les rongeurs, les lagomorphes et accidentellement l'homme, il convient d'indiquer le tropisme d'organe avec l'atteinte du système réticulo-histiocytaire (rate, foie, noeuds lymphatiques) mais aussi le derme. Il s'agit de bactéries intracellulaires facultatives.

. Aprés pénétration (cutanée la plus courante ou d'une muqueuse), le germe se multiplie localement, et gagne les noeuds lymphatiques locaux pour passer finalement dans le sang. Puis il se multiplie dans le foie (multiple abcès visibles à l'oeil nu et la rate (splénomégalie marquée)(cf à droite). Son nouveau passage dans le sang provoque une septicémie, souvent mortelle chez l'animal.

7 - Diagnostic biologique

Le diagnostic peut être difficile, d'autant qu'il est rare (18 cas en 1987, et 29 en 1991). Cependant le contexte épidémiologique est évocateur, donc à préciser au biologiste:
1/Toute l'année mais avec deux pics (automme et hiver)
2/Patient consultant souvent pour une
adénopathie douloureuse fistulisée d'un membre supérieur dans un contexte fébrile ou encore syndrome pseudogrippal.
3/Noter aussi la notion de chasse officielle et/ou de
dépeçage de gibier.
4/Plus rarement,
contact avec un petit rongeur.........

Le diagnostic direct est presque impossible. Il s'agit le plus souvent d'une découverte fortuite suite à une culture de ponction ganglionnaire ou de sang (hémoculture).

ATTENTION

AGENT DE LA CLASSE BIOLOGIQUE 3


* Prélèvements à effectuer:
1/Sérosité de la plaie
2/P
onction d'une adénopathie
3/E
xsudats dans les formes conjonctivales ou pharyngées
4/H
émocultures devant un tableau de fièvre ou de septicémie

* Examen microscopique: Il est rarement positif à partir de la ponction ganglionnaire. Il peut s'agir d'une ou plusieurs hémocultures positives au deuxième ou troisième jour d'incubation en aérobiose.
La coloration de Gram bien que difficile montre un petit coccobacille à Gram négatif, immobile de 0,3-0,7 X 0,2 µm, extrêmement pléomorphe.
On peut lui préférer une coloration de type MGG.


* Culture : Elle est lente (48 h à 5 jours) au moins) et difficile à 37°C (7 % de CO2). Il convient d'utiliser des milieux avec facteurs de croissance dont la cystéine tels gélose au sang frais, au sérum, glucosée, ou encore au jaune d'oeuf ou chocolat enrichie (Polyvitex®), flacons pour hémoculture, ou encore BCYE. Sur milieu solide, on obtient de petites colonies présentant un aspect nacré assez caractéristique (glaireux).


* Identification : d'abord présomptive basée sur la discordance de croissance en aérobiose entre une gélose nutritive (trypticase soja par exemple, à gauche) et une gélose chocolat supplémentée (à droite).


* L'amplification génique (PCR) est possible mais encore peu utilisée directement sur produit pathologique (ganglion, par exemple) lors de diagnostic précose et d'une très forte présumption compte tenu des commémoratifs et des éléments cliniques récoltés. Il est possible d'amplifier le gène codant pour la lipoprotéine de surface de 17 kDa (0,5 kb).

- Cependant cett technique est très utile au diagnostic de genre, voire d'espèce après culture pour une identification plus rapide et plus sûre: Des amorces spécifiques du gène de l'ARNr 16S sont ainsi disponibles. Accessoirement le produit d'amplification de 1,1 kb est séquencé.


- Le diagnostic sérologique est la méthode la plus fréquemment positive faisant appel à la réaction classique d'agglutination en tube (cf ci-dessous) soit encore à une réaction d' immunofluorescence indirecte (IFI) ou ELISA. Ces réactions ont une spécificité médiocre, en particulier à la phase initiale:

* Précoce : positive au 10ème jour (> 1/40 ème)
* Titre maximal obtenu après deux mois et varie entre > 1/100 et 1/2000 ème
* Fausse positivité avec la brucellose
* Phénomène de zone possible, donc diluer le sérum
*En l'absence d'antigène disponible (suspension bactérienne de F. tularensis), il est possible d'effectuer un rose bengale test anti-brucellique.


- D'autres tests sérologiques existent plus spécifiques mais réservés à des laboratoires spécialisés avec la recherche d'anticorps anti-lipoprotéines de 17 et 43 kDa révêlés par la technique de Western-blot.


- La recherche d'une hypersensibilité retardée par l'intradermo-réaction à la tularine n'est plus utilisée, en l'absence d'antigène commercial.

- Inoculation expérimentale
Compte tenu de la difficulté de diagnostic biochimique de cette bactérie, il est plus facile de tester la virulence de la souche isolée en inoculant une souris par voie IP ou SC, de préférence en Isolator® ou mieux disposer d'une animalerie protégée.

La souris meurt de septicémie en 2 à 6 jours avec une adénopathie satellite et une splénomégalie.

Empreinte de la rate d'une souris infectée et morte à J6 par voie sous-cutanée après coloration de type MGG (à droite)


8 - Sensibilité aux antibiotiques
* Cette bactérie est très sensible in vitro aux antibiotiques tels aminoglycosides (streptomycine, gentamicine), tétracyclines, phénicolés et fluoroquinolones.
Le traitement classique s'appuiera sur les antibiotiques suivants: Streptomycine 30 mg/kg IM pendant 10-14 j ou Gentamicine 5 mg/kg/j IV x 10 j. L'alternative est Doxycycline 200 mg/j pendant 14-21 jours.
* Une association d'antibiotiques est recommandée à la phase précoce jusqu'à disparition de l'adénopathie.
* L'absence de résistance acquise et de standardisation de l'antibiogramme ne justifie pas sa mise en oeuvre

9 - Prophylaxie

Chez l'homme
Mesures générales: lutte contre les réservoirs et les vecteurs. Information des populations.
Prophylaxie sanitaire
. Emploi d'insecticides.
. Usage de vêtements de protection contre les arthropodes dans les zones d'enzootie.
. Emploi de masques, de gants et de lunettes pour manipuler et dépouiller les animaux sauvages.
. Désinfecter le pelage à l'eau de javel avant autopsie.
. Ne pas boire d'eau non traitée en zone suspecte et bien cuire les viandes d'animaux sauvages en région d'enzootie.
.Respecter les règles générales d'hygiène.

Prophylaxie médicale: La fréquence de la maladie en France n'a pas justifié la mise en oeuvre d'un plan de vaccination comme dans d'autres pays tel USA.
L'antibioprophylaxie sera à base de Doxycycline 100 mg q 12 h po pendant 14 j, or tétracycline 500 mg po durant 14 j.

Chez l'animal
Prophylaxie sanitaire défensive: Agir sur le réservoir animal par le contrôle des densités de petits mammifères, lutter contre les arthropodes piqueurs, limitation des importations de lièvres d'Europe Centrale.
. Protection des élevages: quarantaine de déparasitage des nouveaux animaux, antibioprévention (streptomycine, tétracyclines) lors d'infection déclarée dans un élevage d'ovins ou de primates.
. Protection des locaux contre les rongeurs sauvages et séparation géographique, réelle, des espèces (pour éviter une contamination par des puces par exemple).
Prophylaxie sanitaire offensive: La tularémie est une maladie légalement contagieuse chez toutes les espèces de rongeurs et de lagomorphes domestiques et sauvages. Leurs importations, morts ou vivants, ou celle de leur peau est soumise à une autorisation de la Direction des Services Vétérinaires.
Mesures de police sanitaire: Obligation de déclarer tout rongeur ou lagomorphe vivant ou mort suspect de tularémie ainsi que toute mortalité élevée de lièvres ou lapins de garenne.
. Si un cas est diagnostiqué, il faut une mise en interdit immédiate avec une visite sanitaire, un recensement et un abattage des animaux. Les cadavres sont aussi incinérés après autopsie.
. Pour les rongeurs et lagomorphes sauvages, le périmètre est déclaré infecté avec pose de pancartes et organisation de battues. La mesure est levée 6 mois après le dernier cas recensé.

Ce cours a été préparé par le Professeur A. PHILIPPON (Faculté de Médecine COCHIN-PORT-ROYAL, Université PARIS V) et le Dr. J. VAISSAIRE (Chef de Laboratoire à l'AFFSA).

Pour en savoir plus :


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